Interview d’un cadre Khmer Rouge

Ieng Sary surnommé « frère n°3 » des Khmers Rouge. Il était ministre Vice-Ministre et Ministre des Affaires Etrangères pour le compte du Kampuchéa démocratique de 1976 à 1979.

Comme chef de la diplomatie, cet intellectuel, formé en France dans la mythologie de la révolution de 1789, était bien souvent le seul point de contact entre la direction particulièrement secrète du « Kampuchéa démocratique » et ses rares alliés dans le monde, notamment la Chine.

Il est à 87 ans mort le 13 mars 2013, était jugé pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Il sera resté muet jusqu’au dernier jour de son procès.

Interview de M. Ieng Sary, Vice-Premier Ministre du Gouvernement Royal d’Union National du Kampuchea (Cambodge) accordée à James Pringle, Chef du Bureau de l’Amérique Latine de NEWS WEEK le 4 septembre 1975.

La Conférence des nations non alignées de la semaine dernière à Lima (Pérou) était l’occasion inattendue de la première d’un film.

En effet, à la réception donnée par les Cambodgiens, les délégués et les journalistes ont été invités à assister à la projection d’un film extraordinaire, intitulé «Peuple héroïque», qui aurait été tourné dans la campagne cambodgienne pendant les dernières semaines de la guerre et dans la capitale Phnom Penh, immédiatement après sa prise par les Khmers rouges. Certaines séquences sont d’une qualité presque comparable aux films de Fellini, avec des routes jonchées de voitures abandonnées ou montrant l’ambassade américaine désertée.

Bien qu’il n’y ait aucune image de la reddition des troupes de Lon Nol ou sur la population vaincue de de Phnom Penh, le film a manifestement transmis le message selon lequel le nouveau Cambodge est devenu une société disciplinée et spartiate.

Ce qui était significatif c’est que le film a donné au monde extérieur la première vision du Cambodge depuis la victoire des Khmers rouges en avril. En effet, la présence à Lima du vice-Premier Ministre Ieng Sary, nouvellement nommé, considéré comme l’un des deux ou trois plus hauts dirigeants du nouveau régime de Phnom Penh, indique clairement que le nouveau Cambodge est maintenant prêt à émerger de son voile de mystère pour chercher à étendre ses relations internationales.

C’est peut-être dans cet esprit que M. Ieng Sary a accordé, la semaine dernière, au directeur du bureau de Newsweek pour l’Amérique latine, James Pringle, une interview exclusive.

Ci-dessous, l’interview :

James Pringle: Pourquoi vos forces ont-elles évacué la population de Phnom Penh après la prise de la capitale le 17 avril?
Ieng Sary: Il y avait deux raisons, et la première c’était les vivres. Nous avions estimé la population de Phnom Penh à 2 millions d’habitants, mais nous en avions trouvé presque 3 millions quand nous y étions entrés. Auparavant, les Américains avaient amené, chaque mois, de 30,000 à 40,000 tonnes de vivres à Phnom Penh.

Nous manquions de moyens pour transporter dans la capitale la même quantité de vivres. Aussi la population doit-elle aller chercher les vivres là où ils se trouvaient.

Et nous devions nourrir cette population tout en préservant notre indépendance et notre dignité sans demander l’aide d’un quelconque pays.

James Pringle: Quelle était la deuxième raison?

Ieng Sary: Nous avions découvert un document ennemi révélant tous les détails d’un plan secret politico-militaire de la C.I.A. américaine et du régime de Lon Nol pour provoquer les troubles après notre victoire.

Ce plan comporte trois points:

-Nous ne serions pas capables de résoudre le problème des vivres pour la population :

-L’ennemi devait fomenter des troubles par ses agents infiltrés dans la population ;

-De nombreux soldats de Lon Nol, qui se sont soumis, cachaient en réalité des armes. Ils avaient projeté de nous attaquer après que nous ayions pris Phnom Penh ;

Ils avaient prévu de corrompre nos combattants et d’émousser leur esprit combatif par les filles, l’alcool et l’argent.

James Pringle: La ville de Phnom Penh est-elle toujours vide d’habitants?

Ieng Sary: Non, environ 100 000 personnes sont revenues et d’autres vont le faire progressivement.

Les écoles, les hôpitaux et les usines ont repris au fur et à mesure leurs activités. Les gens peuvent revenir à Phnom Penh s’ils le souhaitent ; ils peuvent aussi rester à la campagne. Notre peuple tout entier est en train de travailler jour et nuit pour reconstruire le pays. Le Cambodge ressemble à un immense chantier.

James Pringle: Avez-vous résolu le problème des vivres?

Ieng Sary: La population dispose suffisamment de vivres. Ce n’est pas l’abondance, mais c’est suffisant. Et il y a la perspective d’une bonne récolte de riz cette année.

James Pringle: Quand Sihanouk rentrera-t-il au Cambodge et en quelle qualité?

Ieng Sary: Au début de septembre, après une visite à Hanoï avec Khieu Samphan (vice-Premier Ministre).

Il pourrait rester au Cambodge ou se rendre à l’étranger en tant que représentant du G.R.U.N.K. (Gouvernement Royal d’Union Nationale du Kampuchea).

James Pringle: Le Cambodge reprendra-t-il son siège à l’O.N.U. à la prochaine session?

Ieng Sary: Je n’ai pas d’instruction, à ce sujet, de mon gouvernement mais je vais me rendre à New York pour la session économique spéciale (de cette semaine) avant l’Assemblée générale des Nations Unies.

James Pringle: Projetez-vous de rencontre le Dr Kissinger ou d’autres fonctionnaires du Département d’Etat américain pendant votre séjour aux Etats-Unis?

Ieng Sary: Je n’ai pas d’instruction à ce sujet.

James Pringle: Pensez-vous qu’en capturant le bateau américain Mayaguez, en mai dernier, vous risqueriez des représailles armées américaines?

Ieng Sary: Je n’étais au courant de la capture du «Mayaguez» qu’au moment où j’ai écouté les nouvelles de la «Voix de l’Amérique».

Nous avions convoqué à Phnom Penh le commandant local et ce dernier a confirmé la capture du bateau par nos combattants.

Nous décidâmes de relâcher immédiatement le «Mayaguez». le commandant local est retourné la nuit même à Sihanoukville et l’équipage du bateau a été libéré.

Mais nous n’avions diffusé la nouvelle par notre radio que le lendemain matin. Ce matin-là, les Américains ont bombardé Ream et Sihanoukville.

James Pringle: Pensez-vous que la décision prise par le commandant local est juste en capturant le bateau?

Ieng Sary: Le «Mayaguez» était manifestement dans nos eaux territoriales et bien que nos combattants ne fussent pas des techniciens, ils avaient découvert à bord un matériel radio indiquant que le «Mayaguez» était un bateau-espion.

Aussi leur décision de capturer le bateau était juste.

James Pringle: Est-ce que votre gouvernement respecte la religion bouddhiste au Cambodge?

Ieng Sary: Nous respectons les croyances religieuses de chacun. La population jouit de la liberté de croyance mais elle doit respecter les lois de l’Etat. Les pagodes au Cambodge sont ouvertes.

James Pringle: Qu’est-il advenu des officiers du régime de Lon Nol?

Ieng Sary: Actuellement, ils participent à la production agricole. Nous les applaudirons s’ils sont sincères et s’ils peuvent participer à la vie cambodgienne.

Dans notre administration nous utiliserons les personnes de l’ancien régime qui sont sincères.

James Pringle: L’ancien Premier Ministre Long Boret est-il mort ou vivant?

Ieng Sary: Mort ou vivant, il est un traître, et était déjà condamné par le peuple et le Congrès.

James Pringle: Accepterez-vous l’aide d’autres pays?

Ieng Sary: Nous avons encore beaucoup de problèmes au Cambodge du fait des ravages de la guerre.

Par exemple, nous n’avons pas encore un service postal international. Nous accepterons l’aide sans condition des pays amis.

Mais nous maintiendrons notre position d’indépendance et défendrons notre souveraineté. Notre révolution est basée sur notre caractère national cambodgien. Nous ne copions personne.

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